Tom SIMPSON, le saint
1962 le Royaume Uni célèbre l’avènement de sa première star cycliste : Tom Simpson.
Cinq ans plus tard, en s’effondrant et en rendant son dernier souffle sur les pentes du Ventoux, Simpson passe du statut de star à celui de mythe.
Et comme chacun sait chaque mythe comporte sa part d’ombre…
Si on compare les pages Wikipédia consacrées à Tom Simpson en langue Française et en langue Anglaise la première chose qui saute aux yeux est la différence dans la taille. La page en anglais est beaucoup plus fournie. Normal me direz-vous Tom était anglais.
Ce qui est un peu plus surprenant c’est que la page Wikipédia de Tom Simpson soit presque aussi fournie que celle de Margaret Thatcher.
Pourtant la mâchoire supérieure de Maggie était plus avancée que celle de Tom et au niveau de la notoriété sur le plan international il n’y a pas photo non plus.
Paradoxalement ce phénomène est tout à fait normal. Chez nous Simpson est le 1er cycliste mort sur les routes du Tour de France après-guerre, d’une mort bête et horrible sur les pentes du Ventoux.
Outre-manche Tom Simpson est un mythe et les fans britanniques entretiennent ce mythe.
Un des charmes de Wikipédia est qu’on ne connait pas tous les contributeurs à l’écriture d’un article. Dans le cas de la page wiki UK de Simpson il y a certainement l’œuvre du fan de base mais si cette page est si luxuriante c’est aussi parce que de nombreux ouvrages parus sur le sujet en Grande-Bretagne ont grandement contribué à l’alimenter.
On notera au passage ces titres « Mr Tom : the true Story of Tom Simpson » de Tom Sidwells et le plus épique « Put me back on my bike » de William Fotheringham.
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Qui était donc Tom Simpson ? Quelle fut sa vie ? Comment est-il mort ?
Thomas Simpson, plus connu sous le nom de Tom Simpson ou simplement surnommé Tommy, est le fils d’un mineur du Nord de l’Angleterre. Il est de basse extraction et n’a rien d’un Lord mais il est bien éduqué, intelligent, éloquent et surtout c’est un cycliste doué.
Si on continue la comparaison des biographies Wikipédia, contrairement à la VF qui n’y consacre que 3 lignes, la version anglaise nous raconte sa carrière de pistard émérite pendant ses années d’amateurs vécues en Angleterre.
Normal aussi, tout grand mythe cycliste britannique qui se respecte doit pouvoir se prévaloir d’un pédigrée de pistard.
Passons à sa carrière professionnelle. Simpson débarque à St Brieuc début 1959 avec l’ambition de décrocher un contrat pro tout en évitant son service militaire. La page Wikipédia UK précise quant à elle que Tom n’était pas opposé au fait de servir la nation mais qu’il s’est embarqué pour la France la veille de l’arrivée de ses papiers d’incorporation.
God save the Queen. Tommy did not.
Son choix est payant puisqu’en juillet 59, Tommy se trouve intégré à l’équipe apéritive professionnelle St Raphael. L’année suivante il court son premier Tour de France sous la casaque de l’équipe nationale Britannique. Après de bons résultats lors des premières étapes, épuisé et victime de chutes, il termine tout de même 29ème du classement général. Prometteur.
En 1961 il remporte le Tour des Flandres mais blessé au genou il abandonne le Tour rapidement. Il y revient l’année suivante alors que le Tour se court désormais par équipe de marque. Il est leader d’une équipe solide chez Gitane-Leroux et devient le premier britannique à porter le maillot jaune. Son règne sera éphémère et il terminera finalement 6ème à Paris. Suite à cet exploit, cette année-là sa côte de popularité monta en flèche du coté de Londres.
La page Wikipédia UK nous dévoile aussi que Tom cherchait par tous les moyens à pousser son avantage sur ses concurrents. Il serait donc le pionnier du concept des « Marginal gains » popularisé par David Brailsford et le Team Sky.
Féru de technologie il concevait par exemple lui-même des selles adaptées à son postérieur.
Très branché diététique il était un gros consommateur de fruits et légumes et pouvait absorber jusqu’à 4,5 kg de carottes par jour. Par ailleurs sa diète alimentaire faisait la part belle au pigeon, canard, à la peau de truite, aux feuilles de framboisier et à l’ail.
Avantagé par ces marginal gains, il gagne Bordeaux-Paris en 1963 et Milan-San Remo en 1964. Sa popularité augmente encore et sa page Wikipédia en français nous apprend qu’il fut anobli, en 1964, par la toute jeune Elizabeth II, qui anoblissait peut-être là le premier d’une longue série de cyclistes.
Pas un mot, en revanche, de cet anoblissement dans la très riche page Wiki anglaise. Quand on sait à quel point les britanniques sont prompts à donner du Sir à Brailsford et Wiggins on peut s’étonner de cette omission.
Arrêtons donc ici avec les pages Wikipédia romancées et focalisons-nous sur les faits.
En 1965 il gagna le championnat du monde sur route et fut élu personnalité sportive de l’année par la BBC et le Daily Express. Ce titre associé à son maillot jaune suscita des vocations dont celle du jeune Brian Cookson, président de la British Cycling Federation et sans doute le futur président de l’UCI, qui était un vrai fan.
Mais le 13 juillet 1967 survint une tuile monumentale qui vint foutre en l’air cette belle histoire. Tom Simpson décéda au sommet du Mont Ventoux lors de la 13ème étape du Tour.
On a écrit beaucoup de choses sur ce décès et ses causes probables : la chaleur écrasante, un parcours inhumain, la prise d’amphétamine et aussi d’alcool, la combinaison de tous ces facteurs.
Les jours suivant le drame le Daily Express titre « La chaleur tue le champion britannique », le Daily Mirror « Tommy le champion cycliste meurt sous le soleil cruel ».
Pas question d’amphet ou d’alcool. Pour les médias britanniques de l’époque Tommy est mort d’une bonne insolation.
Pourquoi minimiser le fait que Tommy tapait de plus en plus dans la boite à pharmacie au fur et à mesure que sa carrière avançait ? Il avait un standing à maintenir, il voulait gagner plus d’argent.
Pourquoi cette pudeur par rapport au sujet du dopage ?
Est-ce la même pudeur qu’on sent poindre aujourd’hui sous l’apparence d’un énervement lorsqu’on évoque ce sujet devant Wiggins, Froome ou Brailsford ?
Aujourd’hui ce que l’histoire du sport a retenu c’est que Tom Simpson a été la première victime célèbre du dopage. Son nom et celui du cyclisme britannique resteront donc associés pendant longtemps à l’étiquette « dopage ».
Pourtant Simpson ne se dopait parce qu’il était britannique, de même que Simpson ne se dopait pas parce qu’il courait des équipes Françaises. Simpson se dopait aux amphétamines parce que la quasi-totalité des cyclistes professionnels de l’époque, quelle que soit leur nationalité, le faisait
Néanmoins on peut imaginer qu’au Royaume Uni, le décès suite à une prise d’amphétamines d’une personnalité importante, un type qui 2 années auparavant était le sportif de l’année, fit désordre.
En Grande-Bretagne une règle non-écrite veut qu’on ait horreur du scandale quand cela touche les affaires d’honneur national et que quand le scandale se profile la solution évidente consiste à tout camoufler sous le tapis. Under the carpet.
En 1963, le Royaume avait vécu ce type d’expérience désagréable avec le scandale John Profumo, un ministre de la défense dont une maîtresse était suspectée d’espionner pour les Soviétiques.
Il n’y eut donc pas d’affaire Simpson puisque celui-ci était mort de la chaleur et suite au Tour 1967 la presse Britannique se désintéressa progressivement de la chose cycliste.
On considéra que le cyclisme comme un sport de prolétaires dopés et on se désintéressa progressivement du vélo. Le nombre de compétitions diminua, comme celui de licenciés et logiquement le nombre de champions aussi.
Certes Barry Hoban, un excellent sprinter, pote et voisin de Tommy à Gand, gagna bien 8 étapes du Tour entre 67 et 75 mais cela n’intéressait plus grand monde au pays. Ses victoires ou celles d’un dénommé Michael Wright à la même époque, ne firent quasiment pas une ligne dans les journaux.
Cela rappelait peut-être trop la tragédie récente du dopage, ce sujet qui n’a jamais passionné les foules au Royaume Uni.
Il faut dire aussi que le pays n’avait d’yeux que pour le football, une discipline qui se pratiquait en équipe, à l’eau claire. D’ailleurs en finale de la World Cup 1966 l’équipe d’Angleterre matait une Allemagne de l’Ouest quelque peu sur-vitaminée, quand même moins vitaminée que la Corée du Nord il est vrai.
Cela se passait à Wembley sous les yeux de la Reine Elizabeth II décidément très branchée sport dans les sixties.
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Près de 50 ans plus tard quelle empreinte a laissé Tom Simpson sur le cyclisme Britannique ?
Celle d’un mythe on l’a déjà dit. Peut-être plus même, c’est une espèce de Saint martyr.
Saint Simpson a son sanctuaire. C’est un petit autel installé non loin du sommet du Mont Ventoux, sur lequel les cyclos viennent déposer de petites offrandes.
On l’a déjà écrit, son histoire fut une vraie source d’inspiration pour Brian Cookson alors adolescent.
Son maillot de champion du monde fut présenté comme une relique, par Ellingworth un coach de l’équipe nationale, aux cyclistes des équipes britanniques avant les championnats du Monde de Copenhague en 2012. Transcendé par cette vision, Mark Cavendish s’imposa sans coup férir.
Et même si le dopage a été un facteur important dans la mort de Simpson, il est perçu au Royaume Uni comme un élément secondaire de son existence.
Là-bas on préfère se souvenir d’un grand champion ce qui est normal. Les italiens font de même vis-à-vis de Pantani, les français avec Fignon, les belges avec Merckx etc…
Mais si on analyse la vie et la mort de Tom Simpson, il apparait sans trop de doutes qu’elles ont malgré tout défini la relation des cyclistes, des médias et du public britannique avec la chose du dopage. Et ces traits caractéristiques semblent toujours bien présents aujourd’hui.
D’abord le mythe Simpson a contribué à véhiculer quelques contre-vérités au public telles que « Le dopage n’est pas compatible avec la culture britannique. Simpson et quelques autres l’ont fait car ils couraient sur le continent » ou encore « Simpson prenait ce que les autres prenaient. Le drame qui s’est abattu sur lui aurait pu toucher un autre. ». L’argument préliminaire au « level playing field » en quelque sorte : puisque tout le monde se dope il n’y a pas d’autre solution que de se doper aussi si on veut réussir.
Avec Simpson le dopage est devenu une sorte de tabou dans les médias Britanniques.
Quand Feargal McKay, un journaliste irlandais, pose la question suivante à l’anglais William Fotheringham, « Est-ce que la transparence actuelle facilite votre travail de journaliste et vous permet de poser les questions difficiles qui doivent être posées? » voilà quelle est sa réponse :
« Pas vraiment pour être honnête parce que les gars à qui je sens que je peux poser ces questions ont tendance à être ceux qui sont cleans, de sorte que vous n’avez pas leur demander.
C’est très britannique, mais personnellement, je suis gêné de poser ces questions difficiles. Lorsque j’écrivais Roule Britannia en 2004, je doutais de David Millar – parce qu’un journaliste avec quelques années d’expérience reconnait le discours d’un dopé et de ce fait vous savez qui est suspect -, mais je ne pouvais pas lui demander frontalement, même si je le connaissais, comme tout journaliste connaît un cycliste. »
Cette réponse étonnante est caractéristique de la profession de journaliste sportif ou d’écrivain sportif outre-manche.
On pressent certaines choses. On se fie aux paroles. Mais on n’ose pas poser les questions difficiles et surtout on n’enquête pas.
Alors qu’ils sont sur place et ont certainement des informations à disposition, rien ne se passe.
Deux ou trois ans après la mort de Simpson ce fut la gueule-de-bois, plus une ligne dans les journaux, désintérêt total du public. Plus de revenus.
Alors pourquoi en 2015 cette profession se savonnerait elle la planche ?
Est-ce juste une attitude Britannique comme le pense Fotheringham ? Est-ce que c’était déjà comme cela avant la mort de Simpson ? Est-ce que la mort de Simpson a accentué le phénomène ?
Difficile à dire car le dopage n’était pas vraiment un sujet brûlant avant sa mort mais de son vivant Simpson avait toujours nié utiliser des produits dopants.
Il aurait eu cette formule qui en rappelle d’autres plus contemporaines : « Je peux voir à la façon de courir de certains s’ils se dopent ou pas mais moi je ne me dope pas car j’ai trop de respect pour moni corps. »
Aujourd’hui en Grande-Bretagne, près de 50 ans après la mort de Simpson, on est encore dans le déni et l’évitement.
Même si partout dans le Monde on admet que le dopage érode l’intérêt du public, qu’il nuit à l’économie du sport, qu’il est donc néfaste on réalise difficilement à quel point cela a marqué la culture du cyclisme Britannique.
Pour en avoir un aperçu, cet extrait d’un entretien entre Barry Hoban et Fotheringham dans Roule Britannia me semble très significatif.
Hoban fut le champion britannique de l’après Simpson dans les années 70 et en 2004, avant le retour au 1er plan des champions made in UK, il confie à quel point son après-Simpson ne fut pas simple à vivre, et pas parce qu’il épousa Helen, sa veuve, en 69 :
« Mon grand regret ne concerne pas l’argent, quoique j’aurais pu avoir beaucoup d’argent aujourd’hui, mais le fait que je ne suis pas connu pour ce que j’ai fait là-bas [sur le continent]. Personne ne sait qui était Barry Hoban. Ça aurait été super d’être connu pour ce que j’ai fait dans le domaine sportif et ne pas avoir été poussé dans l’oubli comme si cela n’avait pas existé. Quand je retourne sur le continent c’est comme le retour du fils prodigue. Je vais au 6 Jours de Gand et aussitôt tout le monde dit « Ah Barry est là ». Ici [en Grande-Bretagne] c’est plutôt : « Ah tu as couru le Tour de France il y a quelques années. Et alors ? »
A la lecture de ce témoignage on comprend à quel point, à ses yeux, le dopage, même s’il n’est jamais explicitement mentionné, a tout foutu en l’air.
On ressent bien que Barry Hoban aurait préféré être célibataire à l’heure actuelle et pas seulement parce que son pote Tommy serait toujours en vie.
Barry avait disparu des écrans radar pendant plus de 20 ans. Le dopage et la mort de son ami avaient nié le but même de son existence.
Si le mythe Simpson a permis au cyclisme britannique de flirter avec les sommets de la gloire au travers de ses victoires, par le biais du dopage il lui a aussi fait découvrir les abîmes du néant.